14 janvier 2009

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Jean la chance de Brecht au théâtre de la Bastille

Vendredi dernier nous sommes allés au théâtre de la Bastille voir "Jean la Chance" mis en scène par F. Orsoni. Si j'en parle ici c'est que cette pièce m'a laissée sur une excellente impression… D'abord il y a l'intégration du rock punk à la pièce qui (je sens que certains grimacent déjà en pensant au mélange de Brecht et du punk) se fait parfaitement bien, le guitariste est un ancien membre des Béruriers Noirs (remember the eighties, old friends!) et on peut dire qu'il a parfaitement sa place dans cette mise en scène ; son jeu est moins idéal mais il n'intervient que peu et son phrasé un peu désabusé correspond finalement assez bien au personnage qu'il incarne… (ah, ses sophismes : délicieux ! et le pauvre Jean qui s'y perd…)

"Bon, ok il y a du bon son et du rythme mais la trame de cette pièce, qu'est ce que c'est ?", vous demandez vous sûrement… j'y viens… Jean est un idéaliste, un contemplatif, un membre de la "foule sentimentale »… désintéressé des biens matériels, il trouve son bonheur dans l'observation des nuages et la compagnie des taureaux;! la pièce, adaptée par Brecht à partir d'un conte de Grimm, est basée sur une série de rencontres au cours desquelles Jean, qui devra faire un échange, sera systématiquement floué;!! Jean est un de ces individus que l'on dit "trop bons" et il va se retrouver perdant systématique d'un jeu dont on sent qu'il ne maitrise pas les règles… on peut bien sûr y voir une image de notre société de consommation et une réflexion sur les échanges matériels et leur vraie valeur, sur les "perdants" de ces échanges (cf le dernier titre de Noir Désir : "perdants, gagnants", tellement d'actualité), pleins de bonté et de rêves mais sacrifiés sur l'autel du capitalisme galopant… On y verra ce que l'on souhaite y voir, on sera en tout cas ravi du spectacle, c'est certain (sauf pour les amateurs de théâtre "classique" qui risquent de s'étrangler devant la pièce (et j'en avais dans mon périmètre vendredi soir, qui ne doivent pas s'en être remis à ce jour au vu de leurs réactions pendant la représentation).

Parlons de la scène maintenant et de la mise en scène. Les décors sont minimalistes, certes, mais le jeu des acteurs suffit à installer une ambiance qui restitue le contexte et laisse aussi place à l'imaginaire, ce qui n'est pas un mal. Quand les spectateurs s'installent dans la salle, les comédiens sont déjà sur scène, en train de se préparer et rien que cela mérite d'être souligné : on assiste à ce moment riche en émotions, la tension était presque palpable avant que ne débute la pièce. Pendant toute la représentation, les changements de décor, les changements de costume (ne vous affolez pas, votre pudeur ne sera pas outragée) et l'attente des comédiens entre leurs interventions, tout se fait sur scène, en fond de scène exactement mais de façon parfaitement visible du public… extrêmement intéressant, assurément! Clin d'œil aux béruriers noirs (voir la photo ci dessous) les moments de rock punk se font avec ce type de masques que l'on observait sur la couverture de l'album "concerto pour détraqués"; le jeu de "masques" est d'ailleurs souvent utilisé et à bon escient… L'éclairage, le plus souvent latéral, crée un jeu d'ombres sur un des murs latéraux de la scène qui est de toute beauté; les comédiens ayant sans aucun doute travaillé certaines de leurs postures pour jouer avec ces projections, le rendu est souvent très esthétique.

Les acteurs enfin, sont vraiment "habités", le jeu est fluide, enlevé… et Clotilde Hesme donne tout de sa personne dans les morceaux qu'elle interprète (quelle énergie!)… Que dire du final, enfin, d'une intensité à couper le souffle, poétique et vibrant, il mériterait à lui seul que l'on assiste à la pièce... j'en frissonnais d'émotion! Bref, voilà une pièce à ne pas manquer, courez, pressez vous car elle n'est programmée que jusqu'au 5 février au théâtre de la Bastille... et il serait vraiment dommage de la manquer tant elle ravit par son audace, son énergie et le message qu'elle délivre… Bon, le théâtre ne devrait pas être filmé car il perd son côté "unique", "instantané" qui fait de ceux qui y assistent les quelques "happy few" qui sont gratifiés d'un moment de plaisir rare, d'une communion avec les acteurs le temps d'un spectacle… mais voici un teaser qui "fait plutôt bien son travail" même si l'on perd une bonne part d'émotion en passant par la vidéo…