16 janvier 2009
Le Monde
Une bande d'amis met du rock sur "Jean la Chance", fable de Brecht
Brecht (1898-1956) avait renié Jean la Chance, qui n'est pas une pièce, mais une esquisse. Il le considérait comme "un oeuf à moitié pourri". Ecrit vers 1920, ce texte a été retrouvé dans les archives du Berliner Ensemble dans les années 1990, ce qui explique que les biographies de référence n'en fassent pas état. Brecht avait tort. L'"oeuf à moitié pourri" est une bonne nourriture pour l'esprit. Tirée d'un conte de Grimm, c'est une fable traversée par le vent de liberté que l'on sent dans les oeuvres de jeunesse de l'auteur de La Résistible Ascension d'Arturo Ui. Il n'y a pas trace de dogmatisme : Jean, son personnage principal, est à sa manière un petit frère en mal de vivre de Baal et de Woyzeck.
Extatique perdu
Ce Jean-là n'a pas de chance. Il a une grosse tête, l'air pataud, un peu idiot. Mais ce Jean-là a beaucoup de chance. Il voit le monde comme un manège qui tourne autour de lui, et ne perçoit pas de malice dans les sales tours qu'on lui joue. Il aime sa femme, la belle Jeanne. Le jour où elle décide de quitter leur ferme pour suivre un homme de passage, Jean lui conseille de ne pas prendre froid.
"Elle est partie dans le soir qui était si beau, avec ses cheveux, ses yeux et tout ce qui m'appartenait, et aussi mon coeur. On ne la voit plus nulle part, elle n'existe plus. Le vent ne la sent plus, mais il souffle encore, le soleil ne la voit plus, mais il éclaire encore, elle s'appelait Jeanne, elle n'est plus là, et je ne peux plus la rattraper, elle n'a plus de pieds." Voilà ce que dira Jean quand Jeanne disparaîtra dans l'eau d'une rivière.
Jean est sur les routes quand il croise une dernière fois son adorée. Il a quitté la ferme, poussé par les hasards de la vie qui font de lui un extatique perdu ou un perdant magnifique, selon le regard que l'on porte sur lui.
Au Théâtre de la Bastille, à Paris, la bande d'amis qui joue Jean la Chance ne tranche pas. Elle préfère mettre de la musique rock sur l'histoire qu'elle joue comme on peut le faire sur des places de village, avec trois micros, des godillots et le coeur accroché aux étoiles.
Dirigée par François Orsoni, cette bande réunit Thomas Heuer - qui était le guitariste des punks Bérurier Noir sous le pseudonyme de Masto -, Thomas Landbo, Alban Guyon (Jean) et deux filles "top", comme on dit aujourd'hui : Suliane Brahim et Clotilde Hesme, la belle Jeanne.
B. Sa