20 janvier 2009

Les Inrockuptibles

Même avec un texte de jeunesse, inspiré des frères Grimm, Bertolt Brecht tient toujours la distance

À force d’échanger tout ce qu’il possède, Jean la chance finira seul et plus nu que le roi, mais heureux et satisfait de son sort. Si bien que la morale censée conclure toute fable se réduit ici à une question facultative : que demander de plus ? Dans ce texte de jeunesse inédit et inachevé qui s ‘inspire d’un conte des frères Grimm, retrouvé dans les archives du Berliner Ensemble, Bertolt Brecht imagine Jean la chance aussi balourd physiquement qu’il est niais – ou naïf, ravi , idiotement ébloui ? – dans ses relations. 

Aux antipodes de Jean qui rit et Jean qui pleure, figure lunatique en diable, Jean la chance sourit d’un bout à l’autre des (mes)aventures où l’entraine la roue de l’infortune à travers une mécanique féroce fondée sur l’échange et la perte perpétuelle. Brecht esquisse ainsi la trame de sa fable : « 1. Femme contre maison. 2. Maison contre charrette. 3. Charrette contre manège. 4. Manège contre femme. 5. Femme contre oie. 6. Oie contre liberté. 7. Liberté contre vie. 8. Vie » Ce qui a le mérite de la clarté... 

Mise en musique et en chansons par Tomas Heuer, charmant en kilt écossais assorti à sa guitare électrique, la mise en scène de François Orsoni penche foncièrement et lucidement du côté du grotesque, façon cabaret à la Kurt Weil, et du concert rock, où Suliane Brahim et ses petits camarades s’en donnent à cœur joie. 

Tout démarre sur un baiser entre Jean (Alban Guyon) et Jeanne (Clotilde Hesme) ce qui n’est pas rien et c’est peut être même la seule certitude qu’ait eue François Orsoni devant ce personnage mystérieux : « face à un monde vénal, rythmé par les relations d’échange, organisé et façonné par le mensonge, Jean reste fidèle à son intuition et à sa vérité : il vit en écoutant son corps, la nature qui l’entoure, l’âme des gens qu’il rencontre. Essayez pour voir et vous finirez mal, c’est la Loi. » Une sorte de rock attitude avant l’heure, l’ami Brecht n’a pas fini de nous distancer. 

Fabienne Arvers