7 janvier 2009

notfortourist-paris.com

Jean la Chance au Théâtre de la Bastille 

Jean la Chance dont c'était la première hier au Théâtre de la Bastille après que le spectacle ait été crée à Mains d'œuvres en 2007 et ait parcouru les routes de Corse, est l'adaptation par François Orsoni (Compagnie NéNéKa), d'un texte inachevé et inédit de Brecht, l'un des tous premiers écrits par le dramaturge allemand et inspiré d'un conte de Grimm. Entre récit initiatique et ronde absurde, c'est l'histoire de Jean, Jean, le naïf , aussi candide qu'inadapté, qui ne saisi pas les règles de l'échange, semblant ignorer la vénalité de l'homme, en se fiant à son instinct, avant tout. 

On le suit dans un périple où il s'agit sans cesse de troquer une chose contre une autre, autant d'épreuves de négociation où le pauvre bougre doit se déposséder d'un bien pour en acquérir un autre, autant d'épisodes d'échanges somme toute arbitraires et disproportionnés où l'humain est souvent assimilé à l'objet. 

Jean, l'intuitif, le spontané, méconnaissant le mode d'emploi, s'en retrouve systématiquement floué. 

Tout dans la mise en scène concourt à porter avec autant d'intelligence que de virulence, un texte brut, rythmé par la dynamique des échanges incessants et marqué par la rudesse et l'urgence. La scénographie, d'un dépouillement absolu, laisse toute sa place aux mots, aux sons, et aux corps, emportés dans le mouvement de cette ronde. La musique, le chant, omniprésents, emprunts par la vitalité, l'impériosité et la fureur du son Punk tiennent une place prépondérante dans la réussite de la pièce. Ce son qui allie morgue, désespoir et fougue, scansion, sincérité et intensité entre en parfaite résonnance avec la mécanique narrative et textuelle. 

La proposition pouvait sembler audacieuse, elle l'est effectivement avec une extrême pertinence, celle d'une fusion aussi singulière qu'accomplie. Les acteurs s'engouffrent tout entiers dans cette sorte de manège, c'est même eux, par leur mouvement, leurs danses, leurs attitudes souvent grotesques ou exagérées qui l'animent et le fond tourner sans discontinuité. Ils incarnent le texte avec intensité, profondeur, et fureur souvent... La parole ou le chant se font cris, cri de rage, de folie, de fureur, de désespoir, d'envie... mais paradoxalement, une énergie positive émane de leur jeu, une forme d'optimisme, malgré le froid, les pertes et la misère. Un humour jaune, ironique se distille... 

Le spectateur est happé, saisi dans tous les sens, de tous les sens par l'ensemble de cette mise en scène radicale, aussi furieuse qu'excitante, et partagent le plaisir qu'ont les comédiens de jouer.
Si la pièce engage nécessairement une réflexion d'ordre philosophique sur l'échange, les rapports humain/objet, elle parvient à le faire de façon subtile, dans l'insinuation et point n'est besoin d'être un spécialiste de l'œuvre Brechtienne pour y entrer. 

Jean La Chance est absolument et sans réserve une pièce à découvrir, à aimer. 

Laure Dasinières