11 janvier 2009

theatrorama.com

Jean la chance, une fable inachevée aux couleurs métalliques…  

Cette œuvre, inachevée de Brecht relève de la curiosité. Ayant été retrouvée dans les archives du Berliner Ensemble dans les années 1990, l’Arche l’a éditée en français avec quatre autres pièces, dont Jean la chance semble être la plus aboutie. Brecht s’inspire d’un conte des frères Grimm dont il exploite les potentialités dramatiques. L’histoire narre les aventures d’un paysan simplet qui se voit dépouillé de tout ce qu’il possède à force de pratiquer des échanges qui ne se révèlent pas très heureux. Il échange tout d’abord un sac d’or contre un cheval, le cheval contre une vache, la vache contre une oie etc... 

Dans ce récit, Brecht introduit un élément essentiel qui révèle la dimension mercantile de toute forme d’échange. Jean échange, tout d’abord, sa femme contre un sac d’or, point de départ de ses trocs qui le mènent à sa perte. Il devient rapidement vagabond, et il ne lui reste plus que la vie, comme il le clame haut et fort. Ses trocs sont systématiquement vécus de manière expérimentale, il en sort toujours grandit. Mais la ronde infernale à laquelle il participe volontiers, lui fait mener une véritable course vers l’abîme... tout a valeur d’échange... Jean joue à qui perd gagne dans une exaltation sans cesse renouvelée. Les personnages qu’ils croisent tout au long de sa quête l’accompagnent vers un dépouillement annoncé. 

Jean chante… 

Cette pièce mise en scène par François Orsoni, donne à entendre une adaptation, pour laquelle, le metteur en scène s’est autorisé une liberté de ton qui surprend et étonne à la fois. Une balade musicale aux résonances métalliques invite le spectateur à découvrir un univers bruyant dans lequel, saynètes et chansons, alternent avec rythme. Les comédiens parcourent une scène dénudée, sur laquelle, de part et d’autre, traînent des objets qui serviront à la mise en espace de certaines saynètes. Un clavier et une guitare électrique, situés en fond de scène, sont utilisés pour les besoins musicaux de cette balade électrique !!! Les comédiens excellent dans des jeux de jambes et des cris qui s’apparentent à un concert expiatoire de jeunes adolescents exhalant l’odeur âcre du houblon. 

Alban Guyon campe un Jean la chance d’une sincérité tout à fait recevable. Il mène sa quête avec toujours plus d’exaltation, tout comme sa partenaire, Clotilde Hesme, qui interprète une Jeanne touchante et juste, dans son jeu. Suliane Brahim passe d’un personnage à un autre avec une aisance jubilatoire et une générosité toute exceptionnelle. Les autres comédiens rythment cette folle épopée avec conviction. L’ensemble de la production étonne et dérange, mais laisse à voir des acteurs dont le plaisir de jouer et de chanter nous conforte dans l’idée que la générosité et la justesse au théâtre, demeurent les maîtres-mots.

Bruno Deslot